Une fin terrible
Hypatie, la femme à qui personne a demandé pardon. Au début du Ve siècle, alors que le christianisme avait été proclamé religion d’État, une femme a brutalement été assassinée à Alexandrie en Égypte. Kidnappée dans la rue, dénudée publiquement, déchiquetée à coups de tessons, les yeux arrachés alors qu’elle respirait encore, son corps martyrisé donné aux flammes. Le responsable de ce terrible crime? Probablement le patriarche Cyrille d’Alexandrie. Il disposait de deux forces prêtes à tout. Les moines du désert de Nitrie qui vivaient à quelques journées de marche d’Alexandrie et les parabalanis ou parabolanes. Ces derniers formaient une confrérie qui s’était spécialisée dans les soins aux malades et la sépulture des morts. Il semblerait que le commando des assassins d’Hypatie, dont le patriarche Cyrille d’Alexandrie avait le plein contrôle, appartenait à cette dernière catégorie. Ledit patriarche dominait sur Alexandrie. Cyrille était un évêque chrétien et un docteur de l’Église, neveu de l’évêque Théophile d’Alexandrie un titre qu’il conserva jusqu’à sa mort en 444. Son épiscopat sera marqué par la l‘expulsion des communautés juives, païens et hérétiques mais aussi par la mort d’Hypatie et son opposition à Nestorius, évêque de Constantinople.
Alexandrie au Ve siècle
Pour bien comprendre la situation, il faut avoir une idée de comment se présentait Alexandrie au début du Ve siècle. La splendide métropole fondée par Alexandre le Grand, accueillait encore une population considérable. Ses édifices comprenaient le Phare, une des sept merveilles, la bibliothèque avec ses milliers de textes de différentes époques. La ville était riche en temples tels que le Serapeum et le Caesareum. Alexandrie abritait d’importantes institutions comme le Museion, un grand centre culturel. Bien que le préfet de la ville nommé par l’empereur de Constantinople gouvernait, officieusement, une grande partie de la population obéissait aux ordres de son évêque et patriarche Cyrille. L’importance des évêques devint telle quand l’empereur Theodosius Ier proclama le christianisme religion unique, interdisant les autres. Cette intolérance à ceux qui ne se conformaient pas, s’exerçait contre les fidèles des anciens cultes, contre les dissidents de toutes sortes hérétiques ou juifs, peu importe. Ces conflits déclenchaient de violentes émeutes qui provoquaient la destruction des temples et la mort des infidèles. En l’an 391 les fanatiques chrétiens saccagèrent et brûlèrent le Serapeum et sa splendide bibliothèque. Par la suite, le Serapeum et le Caesareum deviendront des églises.
Qui était Hypatie
C’était la fille du philosophe Théon, illustre mathématicien et célèbre astronome qui travaillait au Mouseîon, un des complexes de la fameuse bibliothèque, situé au sein même du quartier royal. C’était une enseignante renommée qui donnait des conférences sur la pensée de Platon attirant par ses beaux discours de nombreux adeptes. D’elle nous parle dans ses lettres un de ses disciples, Synésius de Cyrène, d’elle Socrate Scholastique écrit : « elle obtient de tels succès en littérature et en science qu’elle surpassa de loin tous les philosophes de son temps« . Tous concordent, Hypatie était une excellente élève des sciences et de la philosophie, matières auxquelles elle se consacra dès son plus jeune âge. Elle sera tuée en mars 415 par une foule de chrétiens exaltés fomentée par Cyrille, patriarche de la ville, en plein carême. Le crime bouleversera la ville d’Alexandrie. Trois siècles plus tard, Jean évêque de Nikiu, un diocèse du delta du Nil, nous dit : « une foule se mit à la recherche de la païenne qui avait trompé les habitants de la ville et le préfet avec ses sorts« . La mort d’Hypatie sonna le glas sur Alexandrie, l’ancien centre de la science, de la culture et de l’art hellénistique. Hypatie faisait partie de l’élite païenne fidèle aux idées et croyances anciennes. Elle continuait à préserver l’héritage classique dans un environnement qui chaque jour devenait de plus en plus hostile.
Le récit d’un presque contemporain
Mais laissons la parole à Socrate Scholastique . « Il y avait une femme à Alexandrie, du nom d’Hypatie. C’était la fille du philosophe Théon, et elle avait à ce point développé sa culture qu’elle surpassait les philosophes de son temps. Elle avait reçu la succession de l’école platonicienne issue de Plotin et elle exposait à ceux qui le voulaient tous les enseignements philosophiques. À cause de la noble liberté de parole qu’elle tenait de son éducation, elle allait en toute modestie en présence des gouverneurs et il n’y avait aucune honte à ce qu’elle se trouve au milieu d’hommes, car tous la respectaient et l’admiraient en raison de son extrême chasteté. C’est contre elle que l’envie prit alors les armes. Parce qu’elle rencontrait assez fréquemment Oreste, le préfet de la ville, cela provoqua contre elle, de la part du peuple de l’Église, l’accusation que c’était elle qui ne permettait pas qu’Oreste se réconcilie avec l’évêque Cyrille. Des hommes à l’esprit échauffé dirigés par un certain Pierre, lecteur, après s’être entendus entre eux, guettèrent la femme qui rentrait chez elle. L’ayant tirée de son char, ils la traînèrent à l’église qu’on appelle Kaisarion, et après l’avoir dépouillée de ses vêtements, ils la tuèrent avec des tessons. Puis après l’avoir mise en pièces, ils détruisirent par le feu ses membres qu’ils avaient emportés à l’endroit qu’on appelle le Kinaron. Cela valut un blâme considérable à Cyrille, et à l’église des Alexandrins, car meurtres, combats et pratiques semblables sont tout à fait étrangers à ceux qui sont du parti du Christ. Cela eut lieu en mars, pendant la période des jeûnes.
Les raisons de la mort d’Hypatie
Selon Damascius, « Hypatie étant ainsi, habile et dialectique dans les discours, sensée et civile dans les actes, elle était aimée et respectée par la ville, et les chefs recouraient à elle quand il y avait une discussion pour la ville, comme cela s’est produit à Athènes». Damascius porte une accusation claire contre le patriarche Cyrille et il explique et il donne les causes de son hostilité envers la philosophe et mathématicienne : « Il arriva alors que Cyrille, l’évêque de la faction opposée, passant par la maison d’Hypatie, vit une grande confusion d’hommes et de chevaux. Ayant ensuite demandé ce qu’était cette foule devant cette maison, on lui dit que c’était la maison d’Hypatie et que ces gens étaient venus chercher conseils. Ayant appris cela, son âme était si aigrie qu’il a organisé le plus odieux de tous les meurtres« . Mais peut-être y avait-il une autre raison qui pouvait influencer l’aversion de l’évêque. Les relations entre le pouvoir ecclésiastique et le pouvoir civil avaient atteint le point de rupture, et Hypatie cumulait la double condition de païen et de sympathisante d’Oreste, le préfet de la ville. Cela ne pouvait qu’exacerber l’hostilité du patriarche. Contrairement à ce qu’imaginaient certains peintres romantiques, qui dépeignaient Hypatie comme une belle jeune fille déshabillée et sacrifiée sur un autel par la fureur des moines, la femme était déjà un professeur célèbre depuis une vingtaine d’années. Elle avait probablement une cinquantaine d’années quand elle fut tuée.
Hypatie et sainte Catherine d’Alexandrie
Curieusement un drôle de lien semble lier les destins d’Hypatie et sainte Catherine d’Alexandrie. D’un côté Hypatie, mathématicienne et philosophe néo-platonicienne, assassinée à Alexandrie par un groupe de chrétiens fanatiques, dont la vie a été relatée par plusieurs sources. De l’autre sainte Catherine, une jeune chrétienne martyrisée à l’âge de 18 ans en l’an 305 toujours à Alexandrie. Elle aurait été mise à mort pour avoir tenu tête à une cinquantaine des meilleurs philosophes qui tentaient de lui faire abjurer sa foi. Or, cette histoire est une légende. Il y a des ressemblances surprenantes entre les deux récits au point que l’on est amené à penser que la légende de Sainte Catherine est une version christianisée de l’histoire d’Hypatie. Les sources tant grecques que latines antérieures à la fin du Xe siècle sont extrêmement rares. La plus ancienne trace connue qui relate la vie de sainte Catherine est latine. On la trouve dans une table des matières d’un manuscrit bavarois. Il mentionne une « Passio Ecatarine Virginis Dei ». On n’a malheureusement pas dans le texte. Des études approfondies on permit de distinguer trois phases dans la composition du manuscrit. La table des matières qui est la partie la plus ancienne, date de la fin du VIIIe siècle, peu avant 788. C’est une période de trouble liée à l’emprise de Charlemagne sur la Bavière au détriment du duc Tassilon III. Le prénom même de Catherine, Αἰϰατερίνη en grec et Ecatarine en latin, est un prénom d’origine inconnue qui apparaît en même temps que l’histoire de la martyre.
La légende de sainte Catherine d’Alexandrie
On peut lire l’histoire complète de Sainte Catherine, dans la version de la Légende Dorée de Jacques de Voragine, qui lui-même l’a puisée dans la version de Syméon le Métaphraste, une oeuvre de la fin du Xe siècle. Catherine est la fille du roi Costus, instruite et cultivée, elle reproche à l’empereur Maxence de faire des sacrifies aux dieux. Elle est chrétienne, une nuit, le Christ lui est apparu en songe, et elle a décidé de lui consacrer sa vie. L’empereur exaspéré convoque cinquante orateurs pour la ramener à la raison. Confondus par les arguments et l’intelligence de Catherine, ils se convertissent tous au christianisme et finissent sur le bûcher. L’empereur, pour la convaincre, lui fait alors miroiter une vie de luxe dans son palais, Catherine refuse. Il la fait alors fouetter et emprisonner. La Reine, femme de Maxence va secrètement trouver Catherine en prison accompagnée par les cents soldats de Porphyre. Catherine les convertit, tous, même que les cents soldats. L’empereur, furieux, afflige à Catherine le supplice de la roue. Un ange du Seigneur frappe la machine infernale qui part en éclat avec tant de force que les fragments tuent quatre mille païens. L’empereur fait martyriser la Reine, Porphyre et ses soldats convertis, puis trancher la tête de Catherine après avoir tenté une dernière fois de la séduire. Alors que Catherine meurt, du lait s’écoule du cou coupé, au lieu du sang. Enfin, des anges du Seigneur emportent le corps de Catherine pour l’enterrer au mont Sinaï.
Le culte de sainte Catherine se propage de l’empire byzantin en Italie, puis dans tout Occident à partir du XIe siècle. Il arrive d’abord à Rouen, puis en Angleterre après la conquête normande de 1066. Sainte Catherine sera, avec Sainte Marguerite, une des voix qu’entendaient Jeanne d’Arc. Mais très vite le doute s’installe. Parmi les nombreuses incongruences qui peuplent la Légende Dorée, on raconte l’histoire d’un homme fort dévot à sainte Catherine. Il perdit toute dévotion et il finit par cesser de l’invoquer. Un jour, il vit passer devant lui une multitude de vierges, saintes. Une d’entre elles semblaient briller plus que les autres. Mais quand elle s’approcha de lui, elle se couvrit le visage. Surpris, il demanda qui elle était, on lui dit : « C’est Catherine que tu aimais à connaître autrefois« . La mise en doute se fera plus précise au XVIIe siècle par le cardinal Baronius, un historien de l’Eglise, puis Gilles Ménage, un érudit français et Le Nain de Tillemont, un historien. Sainte Catherine sera même effacée du calendrier de l’Église Catholique en 1969. Mais en 2001, à la suite de son pèlerinage en Egypte au monastère de saint Catherine au pied du mont Sinaï en février 2000, en 2001, le pape Jean-Paul II la réinstalle. Aujourd’hui, Catherine est la sainte patronne des étudiants, des philosophes, et bien entendu celle des filles à marier qui ont dépassé vingt-cinq ans et dont on a peur qu’elles finissent « vieilles filles ».
Conclusion
Il y a des similitudes entre sainte Catherine et Hypatie. L’intelligence du raisonnement d’Hypatie est remplacée par la foi aveugle de sainte Catherine. Les deux martyrs sont l’une représentante du christianisme, l’autre victime de l’Église. Toutes les deux sont originaires de la ville d’Alexandrie en Egypte. Il y a eu une tentative de christianiser Hypatie au VIe siècle pour disculper le patriarche Cyrille de son terrible crime. On aurait attribué à Cyrille une fausse lettre qui met en scène une femme nommée Hypatie. Elle se convertit après avoir reçu à Camuliana, en Cappadoce, une image miraculeuse. Le voile de Camuliana sera ramené à Constantinople en 574, et servira d’étendard lors de batailles. Il sera sans détruit pendant la période iconoclaste au VIIIe siècle. Entre guerres (Perses, Avars, Bulgares, Arabes) et épidémies, le VIIe siècle à Byzance sera une des périodes les plus sombres. Alors, la religion sera le dernier refuge d’une population désemparée et la religion dominera tous les aspects de la vie. Pour conclure, plutôt que de calomnier Hypatie, même si elle a été accusée de sorcellerie, l’Église l’a remplacée par une sainte inventée pour l’occasion, Catherine d’Alexandrie.
Notes
- Nous découvrirons l’histoire d’Hypatie et de sainte Catherine lors de la visite du Caelius
- Lors de cette visite guidée on visitera quelques églises, une tenue vestimentaire appropriée est conseillée
- Pour réserver vos visites écrivez à arterome2@gmail.com ou téléphoner au +39 3479541221
- Voir le film Agora de Alejandro Amenàbar, lire Hypatie d’Alexandrie de Maria Dzielska