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monument à Giordano Bruno

Une histoire italienne

Nous découvrirons ce monument lors d’une visite guidée des monuments francs-maçons de Rome. C’est le 9 juin 1889, le jour de la Pentecôte, que fut inauguré à Campo de Fiori, à Rome, le monument à Giordano Bruno. Il avait été posé juste à l’endroit où le philosophe avait été brûlé vif le 17 février 1600. L’initiative partit d’un groupe d’étudiants romains de l’Université La Sapienza, qui, le 12 mars 1876, formèrent un Comité et publièrent un manifeste à la Jeunesse des Deux Mondes. Le comité mit sur pied une Souscription Universitaire Internationale pour une récolte de fonds. Il organisa des conférences dans le but de faire connaître la pensée et l’œuvre du philosophe Giordano Bruno. Le Comité demanda, en mars 1876, au maire de Rome de se joindre à l’initiative et de contribuer économiquement. Le conseil municipal, le 1er juin 1877, accorda à l’unanimité une somme de 200 lires. Entre-temps la collecte de fonds se déroulait bien et des apports arrivèrent aussi de l’étranger, d’associations de libres penseurs.

Des étudiants universitaires

Malgré tout l’enthousiasme des anti-cléricaux, la grande participation aux manifestations, le comité universitaire ne recueillit pas assez d’argent. Alors, Giovanni Bovio (philosophe et politicien républicain) lança un appel aux intellectuels « libres » de toutes les nations. Et en 1884 un deuxième comité se forma. Une somme importante fut récoltée et les adhésions virent la participation de près de trois cents hautes personnalités non seulement européennes. De l’autre côté s’étaient regroupés, les catholiques les plus intransigeants, les jésuites de La Civiltà Cattolica, les filles de Marie, la droite politique. Faisons quelques pas en arrière. En 1878, Pie IX quitta ce monde. Peu après, le ministre de la culture Francesco De Sanctis, fit publier les œuvres de Giordano Bruno. Et en 1885, lors d’un discours à l’Université de Naples on rendit hommage aux enfants de la Campanie : Pietro Della Vigna, Giambattista Vico, Tommaso d’Aquino et Giordano Bruno. Ces discours soulignèrent la continuité entre la Renaissance et le Risorgimento, et firent de Giordano Bruno un héros.

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Osteria del Melone

Le groupe d’étudiants universitaires romains avait l’habitude de se retrouver à l’Osteria del Melone, près de l’Université La Sapienza de Rome. A la tête du mouvement se trouvaient Adriano Colucci et Alfredo Comandini. Tous les deux étudiaient le droit. Colucci deviendra professeur, député, écrivain et poète et Comandini rédacteur en chef de plusieurs journaux, dont le Corriere della Sera. Mais l’âme du groupe était un juif français, Armand Lévy, fils d’un fonctionnaire de l’Empire. C’était un philosophe, un « révolutionnaire romantique », puis un franc-maçon tombé amoureux de l’idée de dresser un monument à Giordano Bruno. Armand Lévy participa et soutint la Commune. Après le massacre, il débarqua en Italie où il fréquenta Mazzini. Il rentrera en France après l’amnistie de 1880. Armand quitta ce monde le 22 mars 1891. Il fut inhumé dans la fosse commune des israélites, au cimetière Montparnasse. C’était un paladin de la démocratie, un socialiste croyant et ennemi de l’Église, rempli d’admiration pour l’esprit et les idées de la Grande Révolution.

Quelques dates

Pendant l’été 1878, le Comité Giordano Bruno proposa à la Municipalité quatre esquisses d’un monument, toutes sortant des mains d’artistes éminents, dont Ettore Ferrari. Ce dernier accepta de travailler gratuitement. La Commission ne retint aucunes des esquisses. Il fallait dire que sur ces dessins Giordano Bruno n’était pas représenté comme un philosophe mais en tribun du peuple, dans une pose qualifiée de défi anticlérical. Malgré cela, le Comité annonça la réalisation du monument à Campo de Fiori. En réponse la Municipalité n’accorda ni l’espace ni d’autres contributions. Au début de 1880, le Comité de l’Université La Sapienza proposa de poser une plaque dans la cour du bâtiment universitaire de Corso Rinascimento (aujourd’hui l’Archive d’Etat), mais rien encore. En mars 1885, un numéro unique de Giordano Bruno fut publié. C’était un livret de 24 pages, qui contenait des essais sur la vie et l’œuvre du philosophe, les lettres d’adhésion au Comité écrites par des personnages célèbres. Finalement en 1887, une deuxième proposition fut présentée et acceptée.

monument a Giordano Bruno à Rome

Le monument à Giordano Bruno

Au début de 1886, la somme recueillie s’élèvait à environ 28 000 lires. Les contributions arrivaient des Communes, des Provinces, des Universités, des associations de laïcs et de libre pensée et des loges maçonniques. Alors commencèrent les négociations avec les représentants modérés du Comité et la municipalité. Tous les aspects du monument furent discutés. En particulier, les hérétiques représentés dans les médaillons, ils avaient été réduits de huit à quatre. On avait éliminé de la liste : Arnaldo da Brescia, un réformateur qui critiqueait la richesse et la corruption de l’Église. Aonio Paleario un humaniste italien, il avait été proche de la réforme de Luther, il fut pendu pour eresie au XVIe siècle. Giulio Cesare Vanini, tué à Toulouse au XVIIe siècle, c’était un philosophe et naturaliste italien. Et on ajouta Jean Huss réformateur religieux tchèque supplicié au XIVe siècle, Michel Servet médecin et théologien espagnol brûlé vif, Tommaso Campanella moine et philosophe italien poursuivi par l’église.

Le prince Torlonia

Dans l’inscription qui devait orner un côté du piédestal, on enleva la référence « aux martyrs de l’Inquisition ». Et on modifia la statue représentant Bruno en philosophe. Cette nouvelle iconographie du monument plut, un contrat fut signé le 20 mars 1886 avec Ettore Ferrari le sculpteur franc-maçon. Entre-temps, le 13 juin 1886, des élections municipales partielles avaient lieu et elles donnèrent plus de pouvoir à la droite réactionnaire. Le maire, le prince Torlonia du parti de l’église, continua à retarder la réalisation du monument à Giordano Bruno. Et ce fut alors que Adriano Lemmi, membre du Comité d’Honneur International et Grand Maître du Grand Orient d’Italie, écrivit une lettre à Francesco Crispi, lui-même franc-maçon et ministre de l’intérieur. Il lui demanda d’intervenir auprès du maire le prince Torlonia. Après près d’un an de polémiques et aussi pour d’autres raisons, le 31 décembre 1887, Francesco Crispi destitua le maire le prince Torlonia et nomma le modéré Alessandro Guiccioli. Lui aussi s’opposa au monument car, pour lui la discussion était de « nature philosophique et religieuse », et pas du domaine de la Municipalité.

La coupole de saint Pierre

Manifestations

La réaction fut immédiate. Le 20 janvier, les étudiants organisèrent une manifestation à l’Université. Le 25 janvier 1888, quatorze conseillers municipaux, de diverses orientations politiques, demandèrent l’inclusion dans les travaux du Conseil d’une motion d’admission au monument à Giordano Bruno sur la place de Campo de Fiori. Le 31 janvier 1888, les représentants des associations laïques et des journaux libéraux se réunirent à nouveau pour proposer un projet de loi urgent déclarant le monument à Bruno d’intérêt national. En février 1888, une impressionnante manifestation pour la commémoration de la mort de Bruno sur le bûcher eut lieu au Collège romain. A la fin de la cérémonie, les participants partirent en procession d’abord au Campo de Fiori. De là ils se dirigèrent au Capitole, où siège la mairie. La manifestation fut dissoute par la police, car les manifestants voulaient se rendre sur la place Saint-Pierre. Entre-temps le pape Léon XIII tint un discours sévère à propos des commémorations qui se tennaient dans toute l’Italie. Le pape s’en prit même aux hommes du gouvernement qui soutiennent le projet.

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Témoignages

Pour illustrer l’humeur du moment, voici deux extraits des interventions faites par des conseillers favorables : « La statue de Bruno apporte la conquête la plus chère à l’humanité, la liberté de pensée. La doctrine du philosophe n’est pas en cause, mais la loi de l’humanité avancée oui. » (Baccarini) « Pas intellectuelle, mais éducative, la foi est un besoin de sentir quand l’âme s’élève dans les régions de l’idéal. Mais face à une école qui s’efforce d’emprisonner les consciences humaines dans le mystère du surnaturel, l’affirmation de la liberté de conscience est inévitable. Ce ne seront pas les penseurs libéraux qui opposèrent la science à la foi. Mais les adversaires ne veulent pas opposer la foi à la science. L’un doit être séparé de l’autre. » (Cosses). Les opposants avaient plaidé différents arguments, dont l’offense à la religion, l’incompétence du Conseil à trancher la question. Ou encore qu’une statue de telle dimension sur une place toujours affolée n’était qu’un obstacle inutile.

Le monument passe

Il fallut attendre décembre 1888 pour que le conseil municipal renouvelle le vote. Et enfin, 36 pour et 13 contre, le projet passa le 21 janvier 1889, après 13 ans de durs affrontements politiques et religieux. Finalmente on approuva l’érection du monument à Giordano Bruno à Campo dei Fiori. Le 22 janvier, certains administrateurs du Comité, rejoignirent Victor Hugo, Michail Bakunin, Ernest Renan, Herbert Spencer, Haeckel, Whitman, Ibsen, Bovio, Carducci et Ettore Ferrari, le sculpteur franc-maçon pour décider où placer le monument. Après d’autres disputes, on décida de placer le monument à Giordano Bruno à l’endroit où on l’avait brûlé. Sur le socle en granit rose qui fait de support à la statue, on voulut représenter les martyrs de la libre pensée sur huit médaillons. Ils sont Jean Huss, John Wycliff théologien anglais précurseur de la Réforme protestante, Michele Serveto, Aonio Paleario, Giulio Cesare Vanini, Erasmo da Rotterdam, Tommaso Campanella et Paolo Sarpi assassiné par des hommes de l’église.

visiter le rione Ripa

Les huit martyres

La statue en bronze a été réalisée à la fonderie Crescenzi de Rome et elle a été posée sur un socle en granit rose de Baveno. La disposition des huit martyrs sur le monument suit un schéma bien précis. Sur le côté nord, au-dessus de la représentation de Giordano Bruno sur le bûcher, on a John Wycligf et Jan Huss qui ont critiqué l’Église et mis en marche la Réforme. Sur le côté est, au-dessus de la représentation de Bruno devant le Sant’Uffizio, on a Aonio Paleario et Michele Serveto interprètes de la critique humaniste des théories de l’Église. Tandis que sur le côté sud, au-dessus de la représentation de Bruno à Oxford, Érasme de Rotterdam et Giulio Cesare Vanini convertis au protestantisme. Pour finir sur le côté ouest, sur le devant du monument, on a Campanella et Sarpise partisans d’une Église réformée et pour finir l’inscription de Bovio.

Rome vue panoramique

Les panneaux et l’inscription

Les trois panneaux qui illustrent la vie de Giordano Bruno eux aussi en chemin ont subi des changements. Au cours de ce long parcours, on a fini par privilégier le côté révolutionnaire des idées de Giordano. Par exemple, dans le panneau où le Saint-Office présente le programme hérétique de Bruno et prononce la sentence de condamner à mort, Bruno semble dire aux juges « Vous prononcez la sentence contre moi avec plus de crainte que j’ai en la recevant ». L’inscription que l’on lit sur le monument sont vers du philosophe Giovanni Bovio “A Bruno / il secolo da lui divinato / qui / dove il rogo arse” « A Bruno / le siècle qu’il a su prédire / ici / où le bûcher a brûlé » où le mot prédire jette un pont vers le présent et projette un pont vers un future de progrès et d’évolution.

Rome vue panoramique

Le portrait de Luther

Le monument à Giordano Bruno n’est pas un simple monument comme on en voit partout à Rome. Il sert à fixer dans les esprits les crimes commis par l’Église catholique contre la liberté de pensée. Les bas-reliefs racontent les moments marquants de la vie du philosophe et ils sont en ligne avec les huit portraits sur les médaillons. Le monument à Giordano Bruno réserve une autre surprise pas facile à remarque. Les portraits ne sont pas huit, mais neuf. Un médaillon en contient deux. Dans celui du philosophe et hérétique Vanini, se cache un autre portrait. Il est bien plus petit mais tout à fait reconnaissable. C’est celui de Martin Luther. C’est un suédois, l’historien Lars Berggren qui en 1991 tout à fait par hasard en a fait la découverte. Il faut dire que Ettore Ferrari, le sculpteur anticlérical, franc-maçon et athée n’a pas pu résister à la tentation d’ajouter à la liste le portrait de l’ennemi juré de la papauté.

fontaine de la place saint Pierre

Le pied dans le vide

Comme on le sait, la statue de Giordano Bruno a le regard tourné vers le Vatican, où logeaient ses bourreaux. Autre détail, l’index de la main droite pose sur un point du livre, comme pour faire remarquer le travail interrompu de l’étude de l’homme sur le chemin de la raison. Ou encore la position du pied droit qui dépasse de la cape. Il donne l’idée d’un mouvement interrompu sur la route de la connaissance. En plus, le pied du moine, car Giordano Bruno était un moine dominicain, sort du socle de la statue. Cela ouvre une parenthèse sur laquelle réfléchir ainsi qu’une sincère admirée pour le goût raffiné de l’artiste. Il aurait pu simplement mettre un pied devant l’autre. La partie de pied dans le vide semble souligner l’incertitude d’un avenir encore à venir. Mais, le mystère contenu dans ce petit détail semble faire allusion aux étapes du chemin initiatique et fait en quelque sorte allusion à l’expérience maçonnique.

Place saint Pierre illuinée

L’inauguration

L’inauguration du monument le jour de la Pentecôte fut l’occasion pour une fête populaire avec la participation de nombreuses délégations d’Italie et de l’étranger. Ce fut une victoire pour le « franc-maçon » Francesco Crispi, devenu premier ministre, considéré par le Vatican comme l’âme occulte de l’initiative. Pour le pape, ce monument était une offence à la Ville éternelle. Le bruit courait que le pape voulait laisser Rome et l’Italie car elles abritaient ce « champ maudit » (surnom donné à Campo dei Fiori, champ fleuri). On lui répondit que s’il laissait l’Italie il n’y remettrait plus les pieds. Il faut dire que le refus de Giordano Bruno de renoncer à ses convictions, sa ténacité à défendre ses idées, son courage en affrontant une mort horrible, ont fini par en faire un héros de la liberté de pensée. Il est devenunun exemple de l’homme qui se bat pour défendre ses propres idées. Son inquisiteur, le cardinal Bellarmini, est devenu saint par l’Église Il n’arrivera pas à plier Bruno malgré les sept ans de tortures.

via della Conciliazione et couple de Michel Ange

Ses idées

Giordano Bruno n’était pas seulement un libre penseur, mais c’était un copernicien convaincu bien avant Galileo Galilei. Il fut aussi le premier à considérer l’univers comme infini et peuplé d’innombrables mondes. Dans sa pensée, Giordano Bruno quand il parlait à dieu, il s’adressait à une divinité présente dans la Nature. Tout son raisonnement s’appuiait sur la raison et pas sur la foi. Enfin, l’inauguration de la statue de Giordano Bruno le jour de Pentecôte, a vu la nouvelle Italie laïque se réunir à Campo de ‘Fiori, à deux pas du Vatican. Vingt mille, peut-être 30.000 selon les calculs de la Préfecture de police, aurait été le nombre des manifestants rassemblés au pied de l’imposante statue de bronze. A quoi on devrait ajouter les gens qui regardent par les fenêtres et les balcons des maisons donnant sur la place. En vain, le cardinal Rampolla, secrétaire d’État du pape Léon XIII, aurait tenté d’effrayer les citoyens en prévoyant des émeutes de rue, et même en offrant des billets de train gratuits à ceux qui voulaient s’éloigner de la capitale.

visite du rione Borgo

L’Italie laïque

Mais le rêve d’une Italie laïque fut de courte durée. En effet, lorsque du Concordat qui donna naissance à la Cité du Vatican, le cardinal qui représentait le papa Pie XI demanda d’enlever de la statue. En 1940, le Père Agostino Gemelli pouvait affirmer que, si le procès contre Galilée était une erreur, celui contre Giordano Bruno, était celui d’un « misérable » qui avait perdu la tête. En l’an 2.000, Jean-Paul II brisa le silence sur le cas de Giordano Bruno. Poussé par plusieurs parties de la sphère catholique, le pape décida d’intervenir exactement 400 ans après la mort du frère dominicain. Dans un message lu par le cardinal Angelo Sodano, secrétaire d’État du Saint-Siège, il affirma : « Le bûcher qui avait brûlé à l’aube du 17 février 1600 à Campo de ‘Fiori, est un motif de profond regret pour l’Église. Cependant, ce triste épisode ne permet pas de réhabiliter l’œuvre de cette hérétique, car le cheminement de sa pensée l’a conduit à des choix intellectuels qui se sont avérés incompatible avec la doctrine chrétienne« . En deux, pas de réhabilitation pour la doctrine, l’hérésie était là mais la manière dont on l’avait tué était anti-évangélique.

basilique de saint Pierre vue du Tibre

Pour réserver

Pour découvrir le monument à Giordano Bruno lors d0une visite des monuments francs-maçons de Rome écrivez à arterome2@gmail.com téléphonez de 18 à 21 heures à +393479541221. Pour en savoir plus lisez : Pensée cosmologique et philosophie chez Giordano Bruno et William Gilber