La découverte
Depuis le mois de novembre 2021 on peut visiter un des trésors cachés au cœur de Rome, le Mithraeum Barberini. Il a été découvert tout à fait par hasard en 1936 dans un sous-sol du palais Savorgnan di Brazzà. Ce palais est actuellement le siège du Club des Officiers des Forces Armées Italiennes. La villa Savorgnan di Brazzá a été construite à l’intérieur du jardin Barberini dans la première moitié du XXe siècle. Les architectes Gustavo Giovannoni et Marcello Piacentini, l’édifièrent pour le comte Ascanio Savorgnan di Brazzá. Les Savorgnan di Brazzà, originaires d’Allemagne, arrivent en Italie vers l’an 1200 et s’installent au nord, dans le Frioul. Avec la cession de Venise à l’Autriche, le comte Ascanio Savorgnan di Brazzà (1793-1877), quitte le Frioul et vient à Rome où il épouse en 1835 la comtesse Giacinta Simonetti, issue d’une ancienne famille romaine. Le Mithraeum Barberini revient pour ouvrir ses portes chaque deuxième et quatrième samedi du mois.
Mithraeum Barberini
Le Mithraeum Barberini est un petit temple du IIIe siècle après J-C. Cette salle rectangulaire, d’environ 12 mètres sur 6, est située sous un édifice du IIe siècle après Jésus-Christ, probablement une villa privée. Sur toute sa longueur, le petit temple est bordé de deux « praesepia », deux bancs en maçonnerie qui longent les murs. Ces bancs étaient les sièges que les initiés occupaient probablement lors des cérémonies secrètes et des repas rituels. Le plafond du Mithraeum Barberini est formé d’une voûte en berceau, qui fait penser à une grotte. Sur le banc de droite se trouve une petite plaque indiquant le nom des fidèles qui ont fait des dons au Dieu. Devant la fresque il y a un autel perforé utilisé pour les sacrifices. Sur le mur du fond, une grande fresque formée d’une scène centrale et de dix petits carrés racontent l’histoire et les actes du dieu Mithra. Au centre, on voit Mithra qui sacrifie le taureau, flanqué de ses deux assistants Cautes, la torche vers le haut et Cautopates, la torche vers le bas.
Les fresques
Au centre de la fresque, on voit Mithra qui, avec force et énergie, saisit le taureau par ses narices et le tue en lui perforant le cou avec une épée. Alors que la bête meurt, un serpent et un chien boivent son sang, tandis qu’un scorpion mord ses testicules. En haut, dessinée en forme d’arc-en-ciel, la voûte céleste étale les douze signes du zodiaque. Au centre de l’arc-en-ciel, on a un dieu à tête de lion dont les pieds posent sur un globe. Ce dieu à la tête de lion est enveloppé dans les spires d’un serpent. Sous Mithra tuant le taureau, on voit deux assistants Cautès et Cautopatès. Autour, dix panneaux (pinakes) illustrent l’histoire de Mithra. Parmi les scènes, partant de gauche, on voit Zeus tuant les Géants. Suit la naissance du dieu d’un rocher et Mithra faisant jaillir de l’eau de la pierre en la frappant d’une flèche. Ensuite on voit le dieu portant le taureau, le banquet mystique, le pacte avec le Soleil et l’initiation au culte de Mithra.
Détails
Mithra porte toujours un bonnet phrygien. Sur son manteau flottant, sont dessinées sept étoiles du firmament. Le manteau flottant indique le mouvement de l’Univers. Mithra ne regarde jamais le taureau cosmique alors qu’il le tue. La queue du taureau termine par un épis de blé, qui sort de sa colonne vertébrale et qui avec son sang va se propager sur terre. Au centre des signes du zodiac figure un personnage à la tête de lion, les pieds posés sur le globe, le leontocephalus. Il représente le temps infini, le temps incontrôlable, le temps imperceptible ou Chronos. C’est le nom qu’on lui a donné car il n’avait pas de nom. En haut. deux visages personnifient le soleil et la lune. En bas les porteurs de torches symbolisent le jour et la nuit, l’aurore et le couché du soleil. Ils sont de taille plus petite pour indiquer qu’ils sont moins importants que Mithra. Ils portent aussi un bonnet phrygien.
La légende
Selon une des versions les plus communes, le dieu Mithra jaillit d’une pierre dans une grotte, à proximité d’une source, pas loin d’un arbre sacré. À sa naissance, des bergers viennent l’hommager. A sa naissance, Mithra possède déjà un couteau, une torche, une cape et un bonnet phrygien. Le dieu boit l’eau de la source sacrée, coupe un fruit de l’arbre et se fabrique des vêtements. Puis, il rencontre le taureau cosmique broutant paisiblement de l’herbe aux pieds des montagnes. Il le prend par la queue, le traîne en arrière. Ensuite, il l’attrape par les cornes, lui monte sur dos, le chevauche jusqu’à l’épuisement. Le taureau à terre, le dieu lui attache les pattes, le jette sur ses épaules et l’emmène dans la grotte (étape nommée le transitus). Alors que Mithra est dans la grotte, un corbeau envoyé par le Soleil lui demande un sacrifice. Mithra tue le taureau en enfonçant son couteau dans le cou. Du blé jaillit de la colonne vertébrale de l’animal et le sang de l’animal se transforma en vin.
Origines
A l’origine, Mithra est une divinité indo-iranienne remontant au 14e siècle av. J.-C. Les premières traces apparaissent dans l’Avesta, un livre religieux perse. Mithra est alors un messager. Il devient par la suite le dieu du serment, le garant des accords. Ce culte arrive à Rome bien plus tard au Ier siècle avant J.-C. C’est Plutarque, dans les Vies Parallèles qui nous en parle. A leur sujet, Plutarque écrit: « Ils firent sur l’Olympe en Lycie d’étranges sacrifices et ils y célébrèrent en secret des mystères qui survivent de nos jours dans le culte de Mithra, qu’ils furent les premiers à répandre« . D’après l’historien Appien, (Ile après J.-C.) ce sont les survivants de l’armée vaincue du roi Mithridate Eupator qui initient les pirates aux mystères. Donc, c’est lors des guerres que Pompée mène 78 à 67 av. J.-C contre les pirates de Cilicie que Rome rentré en contacte avec le mithraïsme. Les pirates faits prisonniers finissent dans les galères de Misène, près de Naples, où Rome avait sa flotte. De là, cette religion va se répandre dans tout l’Empire. Le mithraïsme atteint son apogée au IIIe siècle de notre ère. Interdit en 391 après J-C, sous l’empereur Théodose, comme tous les cultes non-chrétiens, ses temples furent fermés, par la suite détruits ou transformés en églises.
Le culte
Ce culte très populaire chez les soldats, les fonctionnaires et les riches hommes d’affaires et pas seulement, fut longtemps vu comme un culte privé. Mais si on pense que de nombreux temples étaient au sein même d’édifices publiques comme les thermes de Caracalla ou le Cirque Maxime, ou les casernes, le palais impérial, il devait en être autrement. On sait très peu sur cette religion, ses adeptes étaient voués au silence. Une première analyse a été faite par Franz Cumont dans Les Mystères de Mithra. L’archéologue retrace les origines du culte, sa diffusion. Il étudie sa doctrine, envisage les rapports avec le pouvoir et les autres religions. Il essaie d’expliquer pourquoi cette religion sombre dans l’oubli alors que le christianisme triomphe. Et aussi comment le mithraïsme a influencé le patrimoine culturel et l’ésotérisme européen. Par la suite, grâce aux nouvelles découvertes, à l’aide d’autres disciplines et à l’étude de l’iconographie, de nouvelles théories ont été développées. Les mystères de Mithra furent donc les grands mystères des Romains qui se sont concentrés dans le milieu de l’administration impériale et de l’armée.
Le temple
Le mithraeum est le temple dans lequel on officiait le culte de Mithra. Il devait s’agir au départ de grottes naturelles pouvant accueillir une quarantaine de personnes, un nombre relativement restreint. La grotte rappelait le lieu de la naissance du Dieu. Le temple était composé de trois parties distinctes. D’abord l’antichambre, ensuite le spelaeum ou bien la salle rectangulaire flanquée de deux banquettes le long de chaque mur où s’asseyaient les fidèles. Et pour finir le sanctuaire, il était situé au fond, avec l’autel et une peinture ou une sculpture de Mithra sacrifiant le taureau. Plus tard, les grottes naturelles furent remplacées par des constructions imitant la grotte. La scène qui représentait la mise à mort du taureau, toujours la même, était également connue sous le nom de «tauroctonie». On croyait que la mort du taureau ouvrait la porte à une nouvelle vie. La renaissance était une idée essentielle dans le mythe des mystères mithriaques. Le sacrifice du taureau établissait un nouvel ordre cosmique et il était associé à la lune et à la fertilité.
Paradoxalement
Il devait y avoir une grande différence entre le culte pratiqué par les romains et celui pratiqué par les perses. Par exemple, après la conquête de Doura Europos en Syrie par Shapur en 256 après J-C, les Perses enterrèrent ou abandonnèrent le mithraeum de l’armée romaine. Ils ne connaissaient pas les mystères de Mithra des romains. Un autre exemple, le culte phrygien de la Magna Mater, la Grande Mère, exigeait la présence de prêtres anatoliens à Rome. Pour célébrer le culte de Isis et de Sérapis on faisait appel à des prêtres égyptiens. Des prêtres juifs célébraient le culte du Dieu juif. Or, les prêtres du mithraïsme étaient toujours des Romains. Aucun d’entre eux ne venait de Perse, d’Anatolie ou d’ailleurs. Jörg Rüpke, un spécialiste allemand de religion comparée et de philologie classique, a observé que les rites et les cérémonies des adorateurs de Mithra semblaient respecter le calendrier religieux et civil romain. Et donc, à quel peuple appartenaient donc les mystères de Mithra ? Probablement aux Romains. Mithra, partit de l’Inde, traversa la Perse pour arriver dans la méditerranée. Au passage, il s’imprégna des cultes locaux que les sacerdoces de Cilicie avaient su arranger.
La Trinité
Cet ancien rite lié aux constellations, venu d’Orient pour conquérir les puissants de Rome, se plaçait au-dessus de tous les dieux. Mithra et les autres dieux du mithraïsme dominaient du haut le cosmos, ils dominaient les dieux du cosmos. Ils se plaçaient au-dessus des dieux de la tradition républicaine. La nature hyper-cosmique (du cosmos le plus profond) de ce dieu est attestée par le globe cosmique, ou par le cercle du zodiaque. Les dieux du culte de Mithra sont au nombre de trois. On a Mithra, le léontocéphale dans les spires du serpent et le jeune homme entouré lui aussi par un serpent. Ils forment une trinité au centre de laquelle se place Mithra qui semble faire de médiateur entre les deux. Il est logé entre le dieu le plus terrible, le léontocéphale et le dieu le plus beau, le jeune homme. Ces deux figures aux extrémités sont les forces qui poussent la nature et le cosmos. Autrement dit la vie, l’amour et la mort. Mithra est aussi placé entre le ciel et la terre. Il semblerait que les « idéologues » du mithraïsme en trouvant le juste mélange entre les traditions orientales venant aussi de Perse et la tradition orphique venant de Grèce ont donné naissance à ce culte ésotérique.
Les sept degrés d’initiation
Il y avait sept degrés d’initiation. Le premier était «corax» le corbeau, suivait «nymphus» l’époux, «miles» le soldat, «leo» le lion, «perses» le perse, «heliodromus» l’émissaire du soleil et «pater» le père. Il semblerait que chacun avait un habit particulier selon le niveau atteint. Chaque degré d’initiation avait un rôle différent. Par exemple, le «corbeau» devait servir lors des banquets. Le «lion» offrait des sacrifices au «père». Les initiés devaient se soumettre à des épreuves de courage probablement des épreuves physiques. Dans le temple de Mithra de Santa Maria Capua Vetere en Campanie, on voit différents moments de ce rite. Par exemple, un nouvel adepte, nu, les yeux bandés est conduit par un assistant à la cérémonie d’initiation. Dans une autre scène, on le voit agenouillé devant le Pater. Ce dernier tient une torche ou une épée sur le visage de l’initié. Ensuite, l’initié est étendu sur le sol, comme mort. Certainement cette mort est une mort apparente au cours de laquelle l’initié est poignardé, tué par une épée en « carton », pour ensuite ressusciter. Si les quatre premiers degrés d’initiation étaient faciles à atteindre les trois derniers étaient particulièrement difficiles.
Tertullien
Un des grands accusateurs du mithraïsme est l‘écrivain latin d’origine carthaginoise Tertullien. Dans ses textes il s’en prend aux dieux païens et surtout à Mithra. Il le voit comme un instrument du démon qui corrompt le monde par ses fausses apparences et ses fausses vérités. Les adorateurs de Mithra imitent sur quatre points les chrétiens, le baptême par l’eau, l’offrande de pain, la doctrine de la résurrection, l’exhortation au combat. Il affirme aussi que Mithra « marque au front ses soldats » comme l’onction lors de la confirmation. Pour cet avocat de Carthage, l’eau que les adorateurs de Mithra utilisent lors du baptême n’a aucun pouvoir contrairement à l’eau du baptême chrétien qui contient la Grâce de Dieu. Dans le De corona, Tertullien raconte d’un soldat chrétien qui lors d’une cérémonie militaire et religieuse, le donativum, il sort du rang, il retire sa couronne et affirme sa foi pour le Christ. Paradoxalement comme le miles de Mithra auquel on tend aussi une couronne qu’il refuse car son unique couronne est celle du dieu.
Conclusion
Il y aurait beaucoup plus à dire sur le mithraïsme. Comme par exemple l‘importance que l’astrologie a eu sur le culte. Ou bien, voir certaines similitudes avec l’alchimie. La drôle de coincidence qui fait que cette religion prend la forme qu’on lui connait en Cilicie, en Anatolie méridionale, en Turquie. C’est la région d’où provient saint Paul originaire de la ville de Tarse. Que les couleurs des habits de Mithra, le bleu et le rouge, sont celles du Christ. Que le 25 décembre correspondait à la naissance de Mithra et du Sol Invictus. Que les sept étapes de l’initiation correspondaient aux sept planètes et aux sept jours de la semaine : Corbeau Mercure mercredi ; 2. Fiancé Vénus vendredi ; 3. Soldat Mars mardi ; 4. Lion Jupiter jeudi ; 5. Perse Lune lundi ; 6. Messager du Soleil Soleil dimanche (sol dies changé par les chrétiens en dies domine, les anglais ont gardé sunday ; 7. Père Saturne samedi… Le Mithraeum Barberini, est un des seuls de la ville à conserver ses peintures originales. Cet ensemble magique est parmi les très rares exemples de temples dédié à Mithra qui a gardé ses fresques en Italie. C’est un des joyaux de la ville des papes qui a échappé à l’oubli.
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